Je me pose des questions sur ma démarche. J'ai commencé à lire Debord, Leibniz et Rousseau.

Déjà d'une je n'ai que commencé.

Et pourtant les 3 textes sont courts.

Deuxièmement il n'y a aucune logique de liens entre eux si ce n'est moi qui cherche dieu sait quoi. Comprendre ce qui m'entoure sans doute, l'expliquer. Chercher une cohérence sur des choses très générales.

Et bien sûr je le fais dans le bordel et l'inachevé.

En fait je cherche une cohérence mais je crois bien que je redoute de la trouver, ou alors je pressens que je ne vais pas la trouver, ou bien encore je ne veux pas la trouver et je ne me l'avoue pas. De toutes façons dans les trois cas, il y a un blocage.

Quel bordel ce blown...

Je vais vous faire un petit aveu sur les coulisses de ma mécanique personnelle.

Mon style, actuellement dans un chaos complet, provient d'une convergence d'influences qui sont les suivantes :

- Baudelaire et Rimbaud, pour les synesthésies, la fameuse théorie des correspondances des sensations entre elles.

J'ai toujours trouvé que la description scientifique des choses telle qu'on nous l'enseignait à l'école n'apprenait rien du réel. J'ai refusé tout le classicisme académique scolaire. Toute la littérature française est passée à la poubelle à ce moment là, sauf cette théorie des correspondances.

Il s'en est suivi un période de désert. Je me suis égaré chez Stephen King un temps ( je me souviens par exemple du livre "4 différentes saisons" qui ... ON S'EN FOUT )

Ensuite je suis tombé sur Bukowski, par hasard, au supermarché. Les contes de la folie ordinaire. J'avais 18 ans. En 1990 donc. Une révolution pour moi. C'est dans cet homme que j'ai trouvé le goût d'un certain excès, une sorte d'exutoire salvateur pour le malaise que je vivais alors. Je peux dire qu'il m'a sauvé du suicide et bien des heures d'ennui. Il m'a aussi ouvert à une culture sans limite. Car à côté de la misère sexuelle et amoureuse, des bitures, du vomi, de la merde, des martingales sur les courses de canassons, des boulots et des conditions de, vie aussi minables qu'impitoyables, Buk parlait d'Hamsun, de Sandburg, de Pic de la Mirandole et de dizaines d'autres.

Ensuite l'arrivée à la fac, là je découvre Thiefaine et Burroughs, et un livre de Henry Miller aussi, "Lettres à Brenda Venus". Littérairement, ils m'ont influencé.

On pourra se foutre de ma gueule quant à Thiefaine, mais c'est par lui que je suis arrivé à ce style surréaliste. En fait, sa façon d'associer des mots sans rapport disons... habituel par rapport à la façon de parler courante ou artistique, m'a donné l'idée d'essayer un style qui puisse concurrencer l'appréhension immédiate de l'environnement par la vue. Quand on voit quelque chose, on saisit tout d'un coup d'oeil. J'ai voulu faire pareil avec les mots. Ça m'a amené à une compression de phrase maximale et une association de choses qui n'en avait pas à la base, histoire d'ouvrir les portes de la pensée à tous les vents du même coup. Par ailleurs ce style avait des effets comiques non négligeables.

Miller m'a influencé avec une histoire qu'il raconte dans ce livre, lettres à Brenda Venus. Il était au tribunal, emmerdé pour l'un de ses livres, nexus sexus ou plexus je ne sais plus. Et à un moment donné, un magistrat lui demande "Monsieur Miller , pensez vous qu'un écrivain doive écrire tout ce qui lui passe par la tête ?", et Miller de répondre sans ambages "Oui votre honneur !". Et à ce moment là, le magistrat lui dit "Bravo, vous êtes de la trempe des Villon et [je ne sais plus qui d'autre]...". Et Miller a été laissé tranquille. Je ne sais pas pourquoi, j'avais besoin de ça pour me libérer. Je me suis mis à écrire de façon aussi fiévreuse et bordélique que ma tête.

Je me suis donc mis, en somme de tout cela, à essayer d'écrire dans un mouvement fulgurant de l'esprit exactement ce que j'y voyais, ce que m'amenait à voir ma vie d'alors, le tout dans un style compressé confinant au surréalisme, avec les mots qui me venaient exactement à l'esprit sur le moment, sans soucis de règles quelconques, sauf les règles synesthétiques rimbaudelaériennes, toujours dans un coin derrière, à gérer le truc. La grammaire elle-même se prenait plus ou moins dans la gueule les assauts de mes humeurs, au mépris quelconque de l'intelligibilité suivant l'intensité plus ou moins forte desdites humeurs. Aucune importance alors, j'écrivais sans être lu par guère d'autres que moi, si ce n'est 2-3 amis.

J'ai axé la liberté de mon esprit pour le bien-être de mon âme, sur cette démarche littéraire-là.

Burroughs est venu au niveau technique, notamment par la méthode des cut-ups. Il y avait là-dedans un bricolage du papier du texte qui me plaisait par son aspect bourrin et malgré tout très inventif, car c'est un beau concept que de travailler sur la matière même où le texte prend existence matérielle, de manière à modifier le texte lui-même par ces opérations et d'obtenir quelque chose d'autre, comme pour tenter de développer, sans penser, ce qu'il y a dans la coque de ce texte; extraire un nectar de sens par le concassage de la représentation du sens.

Tout cela s'est passé entre 1990 et 1992, lors de mes 18-20 ans. Et c'est poursuivi jusqu'en 1997. Là je m'intéresse par l'entremise de noir désir à Maïakovski, qui parle de lui dans la chanson "A l'arrière des taxis". Je ne connaissais pas, je m'intéresse. Je viens alors au futurisme, surtout le russe.

Et là je découvre tout simplement le sommet de la poésie. LE poète. Qui doit d'ailleurs être inconnu de 99,8 % de la population française. Vélimir Khlebnikov. J'ai lu très peu de choses de lui, bizarrement. Il est peu traduit, difficile à traduire, peu vendu, peu diffusé, jamais évoqué ailleurs que dans l'écrit. C'est sa démarche qui est exceptionnelle. Il faudrait y consacrer un long chapitre.

Outre tous ses vastes travaux notamment sur l'histoire, les mathématiques, le langage, et sa vie qui ferait j'en suis sûr un film extraordinaire, je vais en extraire deux choses.

D'une part, Khlebnikov m'a fait comprendre que les mots qui avaient un rapport de paronymie, d'homonymie, d'antonymie et autres rapports de forme étaient virtuellement interchangeables, potentiellement synonymes, ce qui fout un bordel ahurissant dans la tête, à la limite de la folie, par l'ouverture de perspectives incommensurables.

D'autre part, il a écrit quelque chose qui disait en gros, qu'une nuance infime sur au moins un mot dans un texte déjà écrit pouvait être source de bien des bonheurs dans le fait de rechercher du sens et de provoquer de l'émotion lors de la création du texte. Une petite heuristique poétique quoi...

Voilà, ma petite histoire d'écrivaillon de l'ombre qui a créé son soleil. Car, si l'on ajoute toutes les possibilités ouvertes et offertes par tout ce parcours, on se rend compte qu'il n'y a aucune limite à la puissance d'investigation du sens et de la beauté par l'écrit lui-même. C'est comme un vaisseau infernal que se serait créé la pensée pour se décupler, se centupler, s'infinupler même. C'est de l'omnipotence à l'état pur, encore accentuée par les possibilités techniques en révolution sans fin d'aujourd'hui. Et tout cela brasse du sens, du concept, de la théorie qui entre en collision avec elle-même. C'est comme l'infini puissance infini, un soleil de soleils, le BIG BANG ! l'Univers... avec de la lumière PARTOUT. Et tout est tellement éclairé avec des spots d'un milliard de terawatts qu'on est réduits en poudre, incinérés avant même d'être aveuglés.

:)

Tout ce qui manque, c'est... maintenant que tout est possible pour s'éclater à écrire malgré nos états de poussières humaines avec le loyer à payer au début du mois, qu'est ce qu'on fait ? On s'éclate et puis voilà, jusqu'à la tombe ?

Le Titanic coule et on fait comme l'orchestre du bateau : on continue à jouer devant la mort ?

...

Je me donne l'impression de vouloir réparer le Titanic en train de couler. En un sens, ça vaut le coup, ça n'a pas été tenté à l'époque.

Je repense à mes 3 gars là, Leibniz, Rousseau, et Debord... Métaphysique pour l'un, organisation de la société pour l'autre, critique de la société devenue spectacle pour le dernier.

Je ne les ai pas choisi dans un but stratégique quelconque. C'est juste que j'aime beaucoup Leibniz en tant qu'esprit universel, que Debord m'intéresse car j'ai l'impression qu'il me parle de la société actuelle, et Rousseau car il m'ouvre à l'explication sur l'histoire de la constitution de la société qui est la nôtre.

Si je cherche un lien entre les trois. L'un est théorique, l'autre est pratique et ancien, le dernier est pratique et moderne. Et le thème central est. . . nous tous. En tant qu'organisation sociétale.

Je reviens à cette orientation de mon style par rapport à l'image, évoquée ci-dessus. Cette compression, qui d'ailleurs a atteint sa limite avec des notes, sur le présent blog, où il n' y a que deux mots, à la Xioix ( c'est limité dans la manière dont moi j'utilise cette forme là ), voire un mot quand ce n'est pas une lettre voire même une note vide. Oui oui, j'ai fait une note vide. Cette compression, qui paradoxalement ouvre le sens à la multitude malgré un nombre réduit de mots, est très bien pour s'amuser à imaginer des choses, et l'imagination est une chose quasiment sacrée pour moi, mais... elle n'établit rien. Elle ouvre des perspectives, elle divertit intellectuellement, et je la réutiliserai peut-être, mais...seule, elle est presque une impasse pour la vie elle-même. C'est un peu comme si c'était le feu, ou la centrale nucléaire 4ème génération Iter, c'est pareil, pour les hommes. ça permet de développer la technique, la technique qui elle aide à dominer l'environnement, mais ça n'est que tactique. Il manque un esprit, une cohérence, je ne sais comment dire autrement, bien que ces mots soient insatisfaisants. Une âme ? Une âme est demandée dans le soleil s'il vous plaît.

Et le rapport à l'image de mon style, me fait penser à Debord. Car la société du spectacle est dans mon esprit celle de l'image, ou du moins elle y est fortement relié. Donc le destin de mon écriture, et cette impasse à laquelle je me sens aboutir littérairement, devrait je pense être aidé par cet écrit de Debord. Et d'ailleurs, moi l'adepte inconditionnel du texte court, poétique et sans épisodes, je vire là de bord ( jeu de mots involontaire ) à 180°. La preuve ce texte.

J'ai besoin de longueur, d'espace textuel. Dialectique dialectique...

( soupir )

Bon allez au boulot. Je reviens. :)