Bernanos, extrait de "le journal d'un curé de campagne"

 

"J’habitais, au temps de ma jeunesse, une vieille chère maison dans les arbres, un minuscule hameau plein d’un murmure de feuillage et d’eau vive. Chemins du pays d’Artois, fauves et odorants comme des bêtes, sentiers pourrissants sous la pluie de novembre, grande chevauchée des nuages, rumeurs du ciel, eaux mortes !...

J'arrivais, je poussais la grille, j'approchais du feu mes bottes rougies par l'averse.

L’aube venait bien avant que fussent rentrés dans le silence de l’âme, dans ses profonds repaires, les personnages fabuleux encore à peine formés, embryons sans membres, Mouchette et Donissan, Cénabre, Chantal…

Certes ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Et pourtant, l’heure venue, c’est lui qui reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu’à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la maison du père ».